C’est par la loi n° 2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages qu’a été consacré le préjudice écologique. Le législateur a alors organisé un régime de réparation, consolidant ainsi la jurisprudence Erika (Cass. crim., 25 sept. 2012, n° 10-82.938, FP-P+B+R+I). Désormais, l’article 1246 du Code civil énonce que « Toute personne responsable d'un préjudice écologique est tenue de le réparer. » et le préjudice écologique est défini comme « une atteinte non négligeable aux éléments ou aux fonctions des écosystèmes ou aux bénéfices collectifs tirés par l'homme de l'environnement » (C. civ., art. 1247).
C’est dans ce cadre que s’inscrit l’affaire « Association OXFAM France et autres » jugée par le Tribunal administratif de Paris le 3 février 2021 et qui retient la carence de l’État français à respecter les objectifs qu’il s’est lui-même fixés en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre pour engager sa responsabilité.
Fin 2018, les associations OXFAM France, Notre Affaire À Tous, Greenpeace France et la Fondation pour la Nature et l’Homme ont ainsi demandé au Premier ministre et à divers ministres de réparer les préjudices moral et écologique résultant des carences de l’Etat en matière de lutte contre le changement climatique et de mettre sans délai un terme à l’ensemble de ces carences (p. 24). Cette demande ayant été rejetée par un courrier en date du 15 février 2019, elles ont demandé au tribunal de condamner l’État à réparer le préjudice écologique (en argent et en nature) et leur préjudice moral, causés, selon elles, par la carence de l’Etat en matière de lutte contre le changement climatique.
Tout d’abord, par une lecture combinée des articles 1246, 1247 et 1248 du Code civil et de l’article L. 142-1 du Code de l’environnement, le tribunal administratif de Paris affirme que « les associations, agréées ou non, qui ont pour objet statutaire la protection de la nature et la défense de l’environnement ont qualité pour introduire devant la juridiction administrative un recours tendant à la réparation du préjudice écologique ». Le tribunal administratif poursuit en reconnaissant la recevabilité des demandes des associations requérantes.
Ensuite, et au regard notamment des derniers rapports spéciaux publiés par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), le tribunal juge que le préjudice écologique est caractérisé (p. 28). Le tribunal a donc considéré que ces rapports étaient opposables à l’Etat et les a retenus comme moyen de preuve.
Après examen des arguments des associations requérantes, le tribunal administratif estime que « les associations requérantes sont fondées à soutenir qu’à hauteur des engagements qu’il avait pris et qu’il n’a pas respectés dans le cadre du premier budget carbone, l’État doit être regardé comme responsable au sens des dispositions précitées de l’article 1246 du code civil, d’une partie du préjudice écologique constaté au point 16 » (p. 35). Notons que l’exigence de causalité est utilisée par le tribunal pour rejeter certains arguments. Il estime par exemple que l’insuffisance des mesures d’évaluation et de suivi et des mesures d’adaptation « à la supposer établie, ne peut être regardée comme ayant directement causé le préjudice écologique dont les associations requérantes demandent la réparation » (p. 34).
Une fois le principe de la réparation admis, le tribunal doit s’attarder sur les modalités de la réparation. Pour rejeter la demande de réparation en argent du préjudice écologique, qu’il qualifie à juste titre de « préjudice non personnel » (p. 35), le tribunal administratif de Paris constate que « les associations requérantes ne démontrent pas que l’État serait dans l’impossibilité de réparer en nature le préjudice écologique dont le présent jugement le reconnaît responsable ». (p. 35). En effet, en vertu de l’alinéa 2 de l’article 1249 du Code civil, l’allocation de dommages-intérêts n’a lieu qu’ « en cas d'impossibilité de droit ou de fait ou d'insuffisance des mesures de réparation ».
Ce constat était suffisant. Pourtant, pour rejeter la demande, il souligne aussi que « la demande de versement d’un euro symbolique en réparation du préjudice écologique est sans lien avec l’importance de celui-ci » (p. 35). C’est, implicitement, le principe de la réparation intégrale qui justifie le rejet de la demande. « Le préjudice doit être réparé dans son intégralité et non pour le principe », rappelle la Cour de cassation (Cass., Civ., 1ère, 21 novembre 2018, 17-26.766).
Cette demande « symbolique » permettait de contourner les difficultés liées à l’évaluation du préjudice écologique. De surcroît, la complexité était ici exacerbée par le caractère particulièrement diffus du préjudice allégué (canicules, sécheresses, inondations, ouragans, etc.).
Cela étant, cette décision se distingue assez nettement de la jurisprudence de la Cour de cassation. Elle estime, en effet, que l’évaluation du préjudice écologique incombe au juge, éventuellement aidé d’un expert, et non au demandeur (Cass., Crim., 22 mars 2016, 13-87.650, P+B).
On relèvera que la condamnation de l’État dans de telles procédures pourrait avoir, dans certaines circonstances, un curieux effet. L’alinéa 2 de l’article 1249 du Code civil dispose qu’il appartient au juge de condamner « le responsable à verser des dommages et intérêts, affectés à la réparation de l'environnement, au demandeur ou, si celui-ci ne peut prendre les mesures utiles à cette fin, à l'État » (p. 36). L’État pourrait donc théoriquement être condamné à verser des dommages-intérêts à … l’État !
S’agissant de la demande de réparation en nature, le tribunal administratif relève que « l’état de l’instruction ne permet pas au tribunal de déterminer avec précision les mesures qui doivent être ordonnées à l’État à cette fin ». Il ordonne donc avant-dire droit « un supplément d’instruction afin de communiquer à l’ensemble des parties les observations non communiquées des ministres compétents, qui avaient été sollicitées par le tribunal le 29 octobre 2020 dans le délai d’un mois, et n’ont été transmises à celui-ci que le 8 janvier 2021 » (p. 36)
Enfin, le tribunal administratif fait droit aux demandes de réparation des préjudices moraux des associations requérantes en relevant que les carences fautives de l’État dans le respect de ses engagements en matière de lutte contre le changement climatique ont porté atteinte aux intérêts collectifs qu’elles défendent (p. 36 et 37). Cette décision est donc l’occasion de rappeler que le préjudice écologique est autonome et qu’il se distingue, notamment, des préjudices moraux des associations.
Le jugement du tribunal administratif rompt avec la jurisprudence traditionnelle des juridictions administratives qui se refusaient à réparer le préjudice écologique depuis un arrêt « Ville de Saint-Quentin » du Conseil d’Etat du 12 juil. 1969. Récemment encore, le Tribunal administratif de Pau du 25 juin 2014 rejetait les demandes indemnitaires d’une association agréée qui soutenait la responsabilité de l’Etat au titre du « préjudice écologique ».
Le vent était pourtant favorable pour qu’une juridiction administrative saute le pas. En effet, alors l’affaire était en cours d’instruction devant le tribunal administratif de Paris, le Conseil d’Etat ordonnait une décision « association les amis de la terre et autres » du 10 juillet 2020 au Gouvernement de prendre toutes mesures nécessaires pour réduire la pollution de l’air, sous astreinte de 10 millions d’euros par semestre de retard dans.
Cette décision a été qualifiée par certains de « l’Affaire du siècle ». Le siècle actuelle commence à peine et le jugement du Tribunal administratif est rendu alors que la loi consacrant le préjudice écologique n’a que 5 ans.
La décision est en effet importante car les acteurs et plaideurs du droit de l’environnement attendait une application concrète de la notion ensuite de la décision du Conseil d’État du 19 novembre 2020 « Arrêt de Grande-Synthe ». Ce qui est peut-être plus intéressant encore c’est le refus de condamnation à l’euro symbolique pour un préjudice écologique et la distinction retenue par le juge administratif pour apprécier le préjudice écologique et les préjudices moraux.